Le film de procès est avant tout une contrainte pour le réalisateur qui s’y atèle ...
Un lieu clos, une action qui se résume à la parole, et un protocole figé, fondé sur la répétition d’étapes invariables et de passages obligés. Si l’on ajoute l’idée de Cedric Kahn de traiter d’un fait réel, dont un certain nombre de spectateurs connaîtront à l’avance le verdict, les défis vont être nombreux pour donner à cette grosse machine la vibration nécessaire.
spoiler: Tout proviendra d’abord du profil de l’accusé, Pierre Goldman, révolutionnaire tonitruant, qui refusera tout compromis et jettera, dès que possible, des sacs entiers de sable dans l’engrenage bien huilé dans lequel on tente de l’intégrer. Fort en gueule, (Arieh Worthalter est phénoménal), interrompant les prises de paroles, rejetant le jeu à jouer, il explique dès le départ vouloir « dépouiller ce procès de tout artifice ». Un principe que reprendra Kahn à son compte, pour un véritable exercice de style fondé sur l’épure : format 4/3, absence de musique, huis-clos qui, après un très court prologue, ne sortira jamais du prétoire pour les deux heures à venir.
Le réalisateur colle au plus près des enjeux d’un procès dans lequel la vérité est avant tout assignée à celui qui la profère, l’idéologie qui est la sienne, et, in fine, le degré de légitimité que lui accorderont ceux à qui il s’adresse. Dans cette bataille rangée, la question est donc de savoir quelle version des témoignages privilégier. Celle d’un trublion assumant parfaitement sa volonté de mettre à bas un système, non sans contradiction dans sa façon d’y survivre, ou celles de tous ceux qui l’ont croisé le jour d’un braquage ayant conduit à la mort de deux personnes. C’est là l’occasion d’un tableau sociétal des années 70, où l’antisémitisme et le racisme contaminent sans complexe les prises de parole, voire la façon de traiter les faits et de les tordre pour réconcilier a priori et vérité.
Dans cette lutte d’un insoumis face au système, c’est aussi la question d’une stratégie mise en place par les avocats qui se joue, et notamment d’un jeune Georges Kiejman, déjà célèbre dans le milieu littéraire, et qui affine ici ses armes en tentant plusieurs approches, autant d’angles (la judéité, le pathétique, le factuel) qui s’opposent à « l’innocence ontologique » que brandit son client.
D’une densité impressionnante, le film restitue, non sans une théâtralité à l’ancienne (le jeu des avocats semble renvoyer aux grands numéros de Meurisse et Vanel dans La Vérité de Clouzot), cette dissection d’un état social, et la fracture irréparable entre les extrêmes idéologiques. La littérarité des dialogues travaille non seulement la question dramaturgique, mais aussi celle de l’écriture, puisque le livre de Goldman, écrit en détention, sert aussi de point d’ancrage – un témoignage bien arrangeant, « vous étiez sans contradicteur », lui rétorque l’accusation. La caméra s’attarde longuement sur les visages, cadrés au plus près par ce format carré qui les privilégie au plan panoramique d’un tribunal toujours fragmenté, les longues focales jouant des balances de point pour mettre en valeur l’écoute du public ou l’attention portée par l’accusé à ce qui se dit de lui au premier plan. Le primat accordé au temps réel force aussi le spectateur à tenir cette place des jurés ou du public assis dans le prétoire, pour prendre la mesure de la durée des procédures et du lent chemin vers une tentative d’objectivité dans la restitution des faits – un procédé qu’on voyait déjà dans la première partie très maîtrisée de Saint Omer d’Alice Diop l’année dernière.
De ce fait, le verdict, évidemment essentiel pour la narration interne au film, importe finalement moins que ce qui s’est dit lors des débats, et rejoint en cela le cœur même du propos d’Anatomie d’une chute, qui disséquait la vie d’une femme pour la juger au regard des normes sociétales. Ce qui aura compté, c’est la prise de parole, et ce qu’elle dit, même inconsciemment, de ceux qui la prennent, entre la haine sereine des ignorants et la révolte légitime de l’indigné.
Le film de procès est avant tout une contrainte pour le réalisateur qui s’y atèle ...
Un lieu clos, une action qui se résume à la parole, et un protocole figé, fondé sur la répétition d’étapes invariables et de passages obligés. Si l’on ajoute l’idée de Cedric Kahn de traiter d’un fait réel, dont un certain nombre de spectateurs connaîtront à l’avance le verdict, les défis vont être nombreux pour donner à cette grosse machine la vibration nécessaire.
spoiler: Tout proviendra d’abord du profil de l’accusé, Pierre Goldman, révolutionnaire tonitruant, qui refusera tout compromis et jettera, dès que possible, des sacs entiers de sable dans l’engrenage bien huilé dans lequel on tente de l’intégrer. Fort en gueule, (Arieh Worthalter est phénoménal), interrompant les prises de paroles, rejetant le jeu à jouer, il explique dès le départ vouloir « dépouiller ce procès de tout artifice ». Un principe que reprendra Kahn à son compte, pour un véritable exercice de style fondé sur l’épure : format 4/3, absence de musique, huis-clos qui, après un très court prologue, ne sortira jamais du prétoire pour les deux heures à venir.
Le réalisateur colle au plus près des enjeux d’un procès dans lequel la vérité est avant tout assignée à celui qui la profère, l’idéologie qui est la sienne, et, in fine, le degré de légitimité que lui accorderont ceux à qui il s’adresse. Dans cette bataille rangée, la question est donc de savoir quelle version des témoignages privilégier. Celle d’un trublion assumant parfaitement sa volonté de mettre à bas un système, non sans contradiction dans sa façon d’y survivre, ou celles de tous ceux qui l’ont croisé le jour d’un braquage ayant conduit à la mort de deux personnes. C’est là l’occasion d’un tableau sociétal des années 70, où l’antisémitisme et le racisme contaminent sans complexe les prises de parole, voire la façon de traiter les faits et de les tordre pour réconcilier a priori et vérité.
Dans cette lutte d’un insoumis face au système, c’est aussi la question d’une stratégie mise en place par les avocats qui se joue, et notamment d’un jeune Georges Kiejman, déjà célèbre dans le milieu littéraire, et qui affine ici ses armes en tentant plusieurs approches, autant d’angles (la judéité, le pathétique, le factuel) qui s’opposent à « l’innocence ontologique » que brandit son client.
D’une densité impressionnante, le film restitue, non sans une théâtralité à l’ancienne (le jeu des avocats semble renvoyer aux grands numéros de Meurisse et Vanel dans La Vérité de Clouzot), cette dissection d’un état social, et la fracture irréparable entre les extrêmes idéologiques. La littérarité des dialogues travaille non seulement la question dramaturgique, mais aussi celle de l’écriture, puisque le livre de Goldman, écrit en détention, sert aussi de point d’ancrage – un témoignage bien arrangeant, « vous étiez sans contradicteur », lui rétorque l’accusation. La caméra s’attarde longuement sur les visages, cadrés au plus près par ce format carré qui les privilégie au plan panoramique d’un tribunal toujours fragmenté, les longues focales jouant des balances de point pour mettre en valeur l’écoute du public ou l’attention portée par l’accusé à ce qui se dit de lui au premier plan. Le primat accordé au temps réel force aussi le spectateur à tenir cette place des jurés ou du public assis dans le prétoire, pour prendre la mesure de la durée des procédures et du lent chemin vers une tentative d’objectivité dans la restitution des faits – un procédé qu’on voyait déjà dans la première partie très maîtrisée de Saint Omer d’Alice Diop l’année dernière.
De ce fait, le verdict, évidemment essentiel pour la narration interne au film, importe finalement moins que ce qui s’est dit lors des débats, et rejoint en cela le cœur même du propos d’Anatomie d’une chute, qui disséquait la vie d’une femme pour la juger au regard des normes sociétales. Ce qui aura compté, c’est la prise de parole, et ce qu’elle dit, même inconsciemment, de ceux qui la prennent, entre la haine sereine des ignorants et la révolte légitime de l’indigné.