Gérald Rouvier
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2
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Ceci est un titre !

Woody Allen a toujours travaillé sa place en marge du système, et c’est ce qui fit longtemps sa force : on doit à sa figure d’intello névrosé de très grandes pages de la comédie des années 70, ainsi qu’une réflexion cinéphile assez passionnante sur l’héritage des grands modèles (Fellini, Bergman) dans le cinéma américain. Avec la même indifférence que lorsqu’on lui donnait un oscar, le réalisateur a poursuivi son écriture permanente, oubliant un film aussitôt tourné, n’accordant aucune espèce d’attention à sa réception critique et publique, pour se tourner vers le projet suivant.
Ce trait de caractère explique sans doute sa livraison 2023, alors que, lâché de toutes parts et cancel dans son propre pays, il vient s’offrir une petite virée parisienne avec un casting de second choix, les stars locales qu’ils convoitait ayant préféré poliment décliner pour s’éviter des embarras quant à leur image publique.

Coup de chance, c’est donc le retour à Paris, cette ville qu’il affectionne tant, et, nous annonçait-on, une intrigue renouant avec l’esprit de Match Point. C’est, surtout, un projet en roue libre où l’on laisse le maestro décati faire ce que bon lui semble, associé à Vittorio Storaro, son chef op attiré, apparemment aussi déphasé que lui lorsqu’il s’agit d’établir un étalonnage qui ne viole pas la rétine, pour une carte postale criarde et indigeste de Paris ou la campagne française.

Rien ne va dans ce récit paresseux, accumulant les clichés sur un triangle amoureux, l’amour de jeunesse, la possessivité toxique d’un homme inquiétant et les inquiétudes existentielles d’une bourgeoise qui pourrait être Emily in Paris après quelques années d’un mariage décevant.
Woody Allen, comme à l’accoutumée, surtout lorsqu’il filme à l’étranger, poursuit ce fantasme éventé d’investir l’élite tout en prétendant en offrir la satire. Son discours sur la vanité est aussi faux que l’hypocrisie qu’il dénonce, facticité qui se prolonge sur une direction d’acteurs totalement inexistante (probablement due à la barrière de la langue) et qui conduit à accroître le malaise face à des situations éculées, des dialogues grossiers et une absence totale d’épaisseur de ses personnages.

Ne pas penser au public peut être une force, lorsque la conviction d’avoir un propos fort à partager dépasse la crainte de sa réception et la vanité de vouloir être aimé. Ici, le spectateur a surtout l’impression d’être vaguement toléré dans la cour de récré dispendieuse et chamarrée d’un octogénaire filmant, pour la énième fois, une jeunesse rejouant les tourments des cœurs.

Dans Hollywood Ending, Allen jouait un cinéaste atteint de cécité lors d’un tournage catastrophe, et dont le film finissait par cartonner en France. Il semble avoir gardé le même humour en nous livrant, 20 ans plus tard, un film écrit et réalisé par un aveugle.

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